À la fois brillant mathématicien et ermite radical, Théodore Kaczynski est entré dans l’histoire sous le sinistre surnom de « UNABOM » (abréviation de « UNiversity and Airline BOMber »), ou plus simplement, « Unabomber ». Son nom reste gravé dans les annales criminelles du 20e siècle aux États-Unis. Pendant près de deux décennies, le FBI s’est lancé dans une traque incessante pour démasquer cet homme qui multipliait les attaques illégales visant des universités et des compagnies aériennes, tout en publiant des textes extrémistes puisant leur inspiration dans les théories néo-luddistes et anarcho-primitivistes.
Né le 22 mai 1942 à Chicago, dans l’Illinois, au sein d’une famille typique de la « middle class » américaine. Theodore John Kaczynski passe une enfance à priori très ordinaire ne laissant rien présager du radicalisme qui allait marquer sa vie d’adulte.
Un parcours académique remarquable
Ce qui allait se révéler être une intelligence exceptionnelle s’est manifesté tôt chez le jeune Theodore. Ses aptitudes remarquables ont rapidement attiré l’attention de son entourage et de ses enseignants. À seulement 16 ans, il intègre l’université d’Harvard.
Son parcours universitaire a été marqué par une réussite brillante. Il développe un intérêt particulier pour les mathématiques, discipline dans laquelle il excellerait plus tard. Cette passion l’a conduit à poursuivre des études supérieures, et en 1967, il obtient un doctorat en mathématiques de l’Université du Michigan. Sa thèse portait sur des sujets complexes en géométrie.
Ce contexte universitaire exceptionnel a rendu sa trajectoire ultérieure d’autant plus énigmatique. En dépit de sa réussite, Theodore Kaczynski a choisi de s’éloigner de la société et de suivre un chemin radical.
Retour à l’instinct primaire
Theodore Kaczynski a connu une période de brillance académique en tant que mathématicien. Suite à son doctorat, il a entamé une carrière universitaire prometteuse. Il enseigne à l’Université de Californie à Berkeley, où il a fait preuve d’une compréhension profonde des mathématiques et contribue à la recherche dans ce domaine.
Cependant, malgré son succès dans le monde académique, Kaczynski choisi de prendre un virage radical . En 1969, il mets brusquement fin à sa carrière et décide de se retirer de la société. Il quitte son poste de professeur et choisi de s’installer dans une cabane de montagnes dans le Montana.
Vivant en autarcie, Kaczynski développe des compétences en survie et apprend à vivre de la terre. Il cultive ses propres aliments, chasse, pêche pour subvenir à ses besoins, et construit sa cabane avec des matériaux locaux.

Durant cette période, il écrit des journaux intimes et des réflexions personnelles. C’est probablement durant cet isolement qu’il développe ses idéaux radicaux, notamment son rejet profond de la technologie et de la société industrielle moderne. Ses écrits personnels reflètent une préoccupation croissante pour l’impact destructeur de la technologie sur l’environnement et la liberté individuelle, des thèmes qui deviendraient centraux dans ses manifestes ultérieurs.
De la bombe artisanale au manifeste radical
Au cours de l’année 1978, Theodore Kaczynski devient « Umabomber », surnom que lui attribut les agents du FBI, en amorçant une série d’attaques explosives qui secoueront la nation américaine. Sa première bombe artisanale, destinée au professeur Buckley Crist de l’Université Northwestern, aurait pu causer des ravages dans une salle de conférence, mais elle fut heureusement désamorcée à temps. Cette attaque inaugura une série de ciblages d’universitaires et d’experts en technologie qui marquerait son parcours criminel.
Motivé par ses convictions profondes, Kaczynski s‘explique à travers des lettre et la rédaction de manifestes. Il y exprime une haine viscérale envers la technologie et la société industrielle, considérant ces forces comme destructrices. Ses cibles sont principalement liées à l’éducation supérieure et à la technologie, notamment des universités et des compagnies aériennes, ainsi que des individus qu’il juge responsables de la perpétuation d’une société qu’il considère comme délétère.
Le modus operandi de Kaczynski implique la fabrication d’engins explosifs artisanaux sophistiqués, dissimulés dans des colis ou des paquets. Chaque bombe est minutieusement conçue pour infliger des blessures graves, voire la mort. Sa série d’attaques s’étale sur plusieurs années, caractérisée par des périodes d’inactivité qui compliquent l’identification du suspect.
Unabomber vs. FBI
La traque du « Unabomber » menée par le FBI est une enquête longue et complexe qui s’étend sur près de deux décennies. Elle commence après la première attaque en 1978 et se poursuit jusqu’à son arrestation en 1996. Cette durée exceptionnellement longue s’explique en partie par les attaques sporadiques et délibérément espacées dans le temps, rendant la tâche des enquêteurs particulièrement difficile. Comme l’explique l’agent du FBI, Terry Turchie : « C’était un jeu du chat et de la souris qui a duré des années.«

La complexité de l’enquête est exacerbée par l’ingéniosité de Kaczynski, qui conçoit ses bombes artisanales avec un souci minutieux du détail. Sa prudence laisse peu de preuves exploitables, compliquant davantage l’identification du coupable. Comme l’explique James R. Fitzgerald, un ancien profiler du FBI : « Il était vraiment brillant dans la manière dont il cachait ses indices. Il était très intelligent dans la manière dont il les éliminait. »
L’un des tournants majeurs de l’enquête survient en 1995 lorsque Kaczynski exige la publication de son manifeste anti-technologie pour mettre fin à ses attaques. Le FBI accepte cette condition, et la publication dans le Washington Post du manifeste, intitulé « La société industrielle et son avenir, » devient un élément clé dans la résolution du cas. Comme l’explique David Kaczynski, le frère de Theodore, « La publication du manifeste a donné un visage, une identité à ce que nous appelions l’Unabomber.«
Au fil de l’enquête, le FBI a dû évoluer et adapter ses techniques d’investigation. La collaboration inter-agences et la collecte de renseignements sont devenues cruciales, tout comme la surveillance et le suivi des communications. Cette expérience a mis en lumière l’importance des bases de données criminelles dans l’analyse des crimes non résolus et a renforcé la détermination du FBI à résoudre ce cas emblématique.
Malgré les nombreux défis rencontrés, dont la complexité technique et le mystère entourant l’identité du Unabomber, la ténacité du FBI a finalement porté ses fruits. En 1996, l’arrestation de Theodore Kaczynski dans sa cabane isolée du Montana a marqué la fin de l’une des enquêtes les plus longues et les plus marquantes de l’histoire de l’agence.
Le chapitre final
Le procès de Theodore Kaczynski, a lieu en 1998. Accusé de plusieurs crimes, dont des meurtres et des attentats à la bombe, commis sur une période de plusieurs années il chois de plaider coupable de toutes les charges retenues contre lui.
L’une des particularités de ce procès est le choix de Kaczynski de se représenter lui-même. Cela donne lieu à des moments inhabituels, notamment lorsqu’il fait des déclarations et des observations sur sa philosophie anti-technologie et anti-société industrielle dans le cadre de sa défense.
Le procès conduit à sa réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Le juge ordonne également la restitution des gains provenant de la vente de ses mémoires et écrits, afin de constituer un fonds destiné à indemniser les victimes de ses attentats.
Bien que Kaczynski soit reconnu coupable et condamné, son procès suscite des débats sur sa santé mentale et sur la question de savoir s’il est pleinement responsable de ses actes en raison de ses convictions extrêmes. Cependant, le verdict final confirme sa culpabilité et sa peine d’emprisonnement à vie.
Atteins d’un cancer en phase terminale, Théodore Kaczynski se suicide dans sa cellule de la prison fédérale de Caroline du Nord en juin 2023 à l’âge de 81 ans.
Pensée et influence néo-ludique
Les actions radicales de Kaczynski ont laissé une empreinte significative sur la société américaine, suscitant des débats profonds sur la technologie, la modernité et les limites de la contestation sociale. Cependant, pour comprendre pleinement cette philosophie, il est essentiel de replacer les théories néo-luddites de Kaczynski dans un contexte historique plus large.
Le néo-ludisme, puise ses racines dans les premières révoltes du début du XIXe siècle en Angleterre. Dès 1811, les artisans du textile s’étaient insurgés contre l’apparition des métiers à tisser mécaniques, craignant que ces machines ne détruisent leurs emplois traditionnels. Ce mouvement, connu sous le nom de « ludisme, » a perduré sous diverses formes tout au long des phases d’industrialisation.
Toutefois, c’est avec l’arrivée des technologies numériques que la notion de néo-ludisme, à laquelle se rattache Kaczynski, s’est révélée de manière plus prononcée. Les nouvelles technologies ont suscité des inquiétudes similaires à celles exprimées par les ludistes du passé, mais avec des implications plus vastes. La révolution numérique a entraîné des changements radicaux dans la société, soulevant des questions sur la vie privée, la surveillance, la dépendance à la technologie et les conséquences sur l’environnement.
Ainsi, les théories de Kaczynski s’inscrivent dans une longue tradition de contestation de l’impact des avancées technologiques sur la société humaine. Son approche radicale et ses actes criminels ont certes choqué le monde, mais ils ont également contribué à alimenter un débat profondément enraciné sur la technologie et à mettre en lumière les préoccupations persistantes concernant les conséquences de la modernité sur nos vies et notre environnement.
La révolution industrielle et ses conséquences ont été un désastre pour la race humaine. Elles ont augmenté la durée de vie humaine mais ont détruit la qualité de cette vie.
Dans son manifeste Industrial Society and Its Future ( La Société industrielle et son devenir ) publié en 1995, Kaczynski fait directement référence à cette pensée en souhaitant « reprendre le combat » des ludistes du XIXe siècle et le gagner. Il identifie le système technologique moderne comme le pilier de la société industrielle et y développe sa conviction selon laquelle la technologie a aliéné l’homme de la nature. Il critique également la révolution industrielle et son influence sur la dégradation de la qualité de vie.
Il y résume l’ensemble de sa pensée en quatre points :
- Le progrès technologique nous conduit à un désastre inéluctable ;
- Seul l’effondrement de la civilisation moderne peut empêcher le désastre ;
- Le gauchisme est la première ligne de défense de la Société technologique contre la révolution ;
- Ce qu’il faut, c’est un nouveau mouvement révolutionnaire, voué à l’éradication de la société technologique, et qui prendra des mesures pour tenir à l’écart tous les gauchistes et consorts.
Avant même son arrestation, les écrits de Kaczynski ont exercé une certaine influence dans les mondes écologistes ou technophobes. Son impact se retrouve notamment dans les œuvres du philosophe anarcho-primitif John Zerzan, de l’écrivain et écologiste britannique Paul Kingsnorth, ainsi que dans les réflexions de l’environnementaliste Derrick Jensen, qui les a explorées dans son livre « Endgame. » De plus, le texte intitulé « Pourquoi le futur n’a pas besoin de nous, » publié dans la revue Wired par Bill Joy en 2000, reflète également certaines des inquiétudes soulevées par Kaczynski. D’autres plus obscures ont également suivi certains préceptes. C’est notamment le cas du terroriste norvégien d’extrême droite Anders Behring Breivik qui reprit quasi-mot pour mot certains passages de Kaczynski dans son propre manifest.
Bien que les écrits de Kaczynski puissent susciter notre curiosité, notamment à l’heure des avancées récentes de l’intelligence artificielle, il est généralement admis que leur radicalité affirmée et leurs méthodes inefficaces confèrent à ses actions et à ses convictions un aspect quelque peu réactionnaire et misanthrope. Néanmoins, les progrès technologiques et leur impact sur nos vies méritent incontestablement d’être examinés et critiqués.
Pour aller plus loin :
- « Personne n’ose se revendiquer de Unabomber » — usbeketrica.com
- Le passé d’une désillusion : les luddites et la critique de la machine — cairn.info
- Manhunt (série TV, 2017) — allocine.fr