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Shawn Fanning, le pirate

Le 1er juin 1999, à l’âge de 18 ans, Shawn Fanning a lancé Napster, une création qui allait profondément bouleverser l’industrie musicale internationale en permettant aux utilisateurs de partager des fichiers musicaux entre eux via Internet.

À la fin des années 90, alors que le monde retenait son souffle en anticipant un éventuel bug informatique majeur à l’aube du nouveau millénaire, un jeune visionnaire du nom de Shawn Fanning a discrètement introduit une innovation qui allait secouer l’industrie musicale pour toujours. Alors que le bug de l’an 2000 ne s’est jamais concrétisé, l’impact de la création de Fanning, Napster, a été ressenti comme une bombe. Cette plateforme gratuite de partage de fichiers a changé à jamais la façon dont nous écoutons et partageons la musique, et ses répercussions sont encore palpables aujourd’hui.

« J’ai grandi en aimant la musique, et je voulais simplement trouver un moyen plus efficace de la partager avec d’autres »

Shawn Fanning, 2000.

Shawn Fanning est né en 1980 à Brockton, Massachusetts, d’une rencontre fortuite lors d’une fête dans la banlieue de Boston entre une jeune fille de 17 ans, Colleen, et le fils d’une des familles les plus riches du Massachusetts. Son père biologique totalement absent de sa vie, l’a rencontré brièvement après qu’il soit devenu célèbre.

Depuis son plus jeune âge, Shawn a manifesté un intérêt pour la technologie et la musique. À l’âge de 19 ans, alors étudiant à l’Université Northeastern, il a eu l’idée qui allait changer la donne. Inspiré par la difficulté de partager de la musique en ligne avec ses amis, il a développé Napster, devenant ainsi la bête noire de l’industrie musicale internationale.

La genèse de Napster

L’idée originale de Napster était simple mais puissante : permettre aux utilisateurs d’échanger de la musique via Internet. Pour concevoir ce logiciel révolutionnaire, qui reprend les grands principes des moteurs de recherche et des systèmes paire à paire, Shawn Fanning allait trouver un soutien auprès de deux camarades étudiants qu’il avait rencontrés via IRC (Internet Relay Chat) : Sean Parker et Jordan Ritter. Cependant, ce n’était pas la seule source de soutien de Shawn. Son oncle informaticien, John Fanning, allait jouer un rôle crucial dans le développement et le financement de Napster.

John Fanning, partageait également un vif intérêt pour les nouvelles technologies et la musique. Son influence et ses encouragements ont été essentiels pour Shawn. Avec son appui, Shawn a réussi à finaliser son logiciel en un peu moins d’un an. Pour le tester, il a décidé de l’installer sur les serveurs de l’Université Northeastern, où il était étudiant, et de le distribuer confidentiellement à une trentaine d’internautes rencontrés dans des «chat rooms». Ce geste discret allait bientôt devenir la première étincelle de l’explosion de Napster.

Les premiers testeurs, sous le charme de la simplicité et de l’efficacité du logiciel, n’ont pas pu s’empêcher de divulguer son existence à leurs amis. En seulement une semaine, le logiciel avait été téléchargé par 15 000 internautes, marquant ainsi le début de la révolution musicale en ligne.

Music From Every Angle

Pendant ce temps, John Fanning, l’oncle de Shawn, réussi à lever 2 millions de dollars auprès de plusieurs «business angels», dont Joe Kraus, le fondateur d’Excite. Ces fonds ont donné à Napster les moyens nécessaires pour se propager à une vitesse fulgurante parmi les internautes américains. Dopés par le nombre de téléchargements effectués sur le logiciel, Shawn Fanning et Sean Parker ont décidé de faire le grand saut vers la Californie.

C’est donc en Californie que le duo fonde officiellement la société Napster. Le nom « Napster » était en réalité un surnom que Shawn avait adopté durant ses années de collège en raison de sa coiffure excentrique, qu’il a fini par raser. En fin d’année 1999, Napster était proposé en téléchargement sur la plupart des grands portails américains, et se propageait à une vitesse vertigineuse parmi les internautes. En seulement un an d’existence, près de 14 000 chansons étaient téléchargées chaque minute, marquant ainsi le début d’une révolution dans l’industrie musicale et faisant de Napster le premier système d’échange de fichier basé sur un système peer to peer.

L’industrie musicale contre-attaque

Quelques mois après la naissance de Napster, les ennuis se profilent. Comme le soulignait John Fanning, oncle de Shawn et soutien inconditionnel de l’entreprise, « L’idée de Napster risquait bien de secouer le monde de la musique. » Il était conscient que cette idée novatrice ne manquerait pas de froisser quelques plumes dans l’industrie musicale.

La société tentait désespérément de trouver un terrain d’entente avec les grandes maisons de disques, mais la RIAA (Recording Industry Association of America) décida d’entrer en scène et de porter plainte contre Napster pour violation des droits d’auteur. Le début d’un feuilleton juridique mouvementé, à un moment où Napster comptait jusqu’à 700 000 utilisateurs simultanés. En signe de protestation contre Napster, le rappeur Dr. Dre lança une citation mémorable : « C’est comme si quelqu’un venait dans ma maison et volait tout mon argent. » Le groupe Metallica, furieux que ses chansons soient partagées sans autorisation, publia des listes de plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs ayant téléchargé illégalement leurs titres.

Cette bataille juridique acharnée a marqué l’histoire de l’industrie musicale. Malgré le soutien fervent des utilisateurs et les multiples recours en appel, la pression exercée par les maisons de disques et certains artistes a fini par gagner du terrain. En effet, les artistes avaient des préoccupations légitimes concernant la distribution illégale de leur musique. Cette pression a contraint plus d’un tiers des universités américaines à bloquer l’accès au service Napster.

En juin 2001, après seulement deux ans d’existence tumultueuse et de procès perdus, Napster prit la décision difficile de fermer son service. Cette saga épique avait pris fin, mais elle avait laissé une empreinte indélébile sur l’industrie musicale et la manière dont la musique était partagée et consommée.

De Napster à la révolution du streaming

Si la plateforme de Fanning est sommé de fermer, d’autres éditeurs proposant de télécharger gratuitement de la musique, à l’instar d’eMule, Kazaa ou LimeWire, vont faire leur apparition entre 2000 et 2005.

Napster a été le catalyseur d’une révolution qui a bouleversé la manière dont la musique était partagée et consommée. En un temps record, des millions d’utilisateurs se sont tournés vers Napster pour accéder à une bibliothèque musicale sans précédent. Cette révolution a rapidement évolué vers la distribution numérique de musique.

« Nous sommes redevables à Napster pour avoir tracé la voie du streaming musical.« 

Daniel Ek, fondateur de Spotify

Face à cette déflagration, l’industrie musicale a dû se réinventer. Les maisons de disques ont compris que la distribution numérique était l’avenir et ont signé des accords avec des services de streaming tels que Spotify, Apple Music et Amazon Music. Les artistes ont également dû s’adapter à ce nouvel écosystème pour le meilleur comme pour le pire.

Sous l’influence des majors, les gouvernements du monde entier ont réagi à la révolution numérique de la musique en introduisant des lois sur les droits d’auteur et la propriété intellectuelle. Le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) aux États-Unis en est un exemple. Ces lois ont cherché à équilibrer la protection des droits d’auteur tout en préservant l’innovation et l’accès à la musique en ligne.

L’histoire de Napster et de Shawn Fanning est celle d’une idée audacieuse qui a changé le monde de la musique pour toujours. Leur héritage perdure à travers l’essor du streaming musical, l’adaptation de l’industrie et la législation numérique. Comme l’a si bien dit Shawn Fanning lui-même : « Napster était le début, mais l’histoire de la musique en ligne est loin d’être terminée. » Ainsi, leur influence continue de résonner dans chaque note de musique diffusée en ligne aujourd’hui.

Quelle impact sur la Musique ?

L’avènement de la révolution numérique a profondément remanié notre connexion à la musique. Au-delà du rêve initial, peut-être teinté de naïveté, d’un adolescent aspirant à partager sa passion musicale avec des amis via Internet, cette évolution a engendré des retombées majeures, tant pour l’industrie musicale que pour notre propre rapport à cette forme artistique.

Depuis l’époque du téléchargement jusqu’à l’ère actuelle du streaming, notre accès à une vaste diversité d’œuvres musicales s’est considérablement élargi. Cependant, cela ne va pas sans un coût, particulièrement ressenti par les artistes. Comme le souligne David Turner dans son article pour la revue Rolling Stone, « la transition vers le streaming a conduit à une baisse des rémunérations des artistes et à la disparition progressive de l’album au profit d’une succession de singles, transformant la production musicale en un simple produit de consommation« .

L’industrie musicale a évolué vers un modèle centralisé autour des plateformes de streaming. Toutefois, ces plateformes font l’objet de critiques sévères pour leur manque de transparence et leur répartition inégale des revenus. Un rapport de l’Union des musiciens britanniques, cité dans The Guardian, révèle que « pour qu’une chanson génère seulement 1$ sur Spotify, elle doit être diffusée 263 fois« . Ce constat met en lumière les défis auxquels les artistes indépendants sont confrontés.

Il y a seulement deux ou trois décennies, l’auto-production musicale au-delà des démos était exceptionnelle. La plupart des artistes aspiraient à signer avec des maisons de disques pour bénéficier d’un enregistrement en studio, d’une distribution, et des services de communication qu’ils offraient. De nos jours, la musique est consommée et produite de manière radicalement différente. De plus en plus d’artistes adoptent le statut d’artistes-entrepreneurs pour s’adapter à cette nouvelle ère, comme l’a noté Alan Cross dans son livre « The Secret History of Rock ‘n’ Roll ». Cependant, malgré cette évolution, le partage spontané de la musique est devenu plus complexe pour les auditeurs, désormais liés à des comptes clients et aux filtres algorithmiques.

Un autre aspect révélé par le streaming est son impact écologique. Kyle Devine, professeur à l’Université d’Oslo, a mené une étude sur le coût environnemental de la consommation musicale. Il affirme que « l’écoute de musique en ligne nécessite une quantité considérable de ressources et d’énergie, ce qui a un impact significatif sur l’environnement« . Les serveurs des plateformes de streaming ont émis entre 200 et 250 millions de kilogrammes de gaz à effet de serre aux États-Unis en 2016, selon une étude de deux chercheurs de l’université de Glasgow, soit deux fois plus qu’avec les disques 20 ans auparavant.

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