La neutralité du net, ou neutralité d’internet, est une notion popularisée en 2003 par Tim Wu, professeur de droit à l’université Columbia à New York. Au moment de sa création, le concept recouvre l’idée que les flux d’informations ne peuvent pas être bloqués, détériorés ou encore favorisés par les opérateurs de télécommunication. Ce concept est un principe de non-discrimination appartenant aux principes fondateurs d’Internet.
Fondateur d’Internet, le principe de la neutralité du Net veut que tous les contenus mis en ligne sur le réseau soient traités de la même manière, sans discrimination. Il interdit par exemple à un fournisseur d’accès à Internet (FAI) de transporter les flux vidéo provenant d’un service donné plus rapidement que ceux d’un autre. Il lui interdit aussi de bloquer l’accès à certains sites ou à un certain type de contenus. Concrètement, sous l’empire de la neutralité du Net, un FAI américain n’avait pas le droit de faire payer davantage ses consommateurs pour un accès plus rapide à YouTube ou à Netflix, par exemple.
La neutralité du net mise à mal
Le jeudi 14 décembre 2017, aux Etats-Unis, ce que redoutaient les défenseurs de la neutralité du Net est arrivé. La FCC (Commission Fédérale des Communications) a mis fin à ce grand principe. Les cinq commissaires ont exposé leurs points de vue avant de voter le texte, à trois voix contre deux.
Les adversaires de la neutralité du Net, généralement représentés par les opérateurs des télécoms, martèlent que l’infrastructure des réseaux a un coût, d’autant plus que celle-ci nécessite d’être modernisée en permanence, à mesure que les usages d’Internet évoluent et que la demande augmente, notamment avec la vidéo. Selon eux, expérimenter de nouvelles offres et faire payer davantage les utilisateurs pour des services de plus grande qualité leur permettra d’assumer ces investissements et d’innover davantage.
Certains usages futurs de l’Internet – je pense à l’Internet des objets ou à la voiture autonome – vont nécessiter des Internet particuliers en termes de latence et de vitesse. Il faudra que nous soyons capables de proposer des Internet avec des fonctionnalités, des puissances et des qualités de service différents. Il faut nous laisser faire
Stéphane Richard — PDG d’Orange, 11 décembre 2016
En France, c’est l’Arcep (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes) qui est garante de la Neutralité du Net et le respect des lois européenne. Il s’agit d’un organisme indépendant chargé de la régulation des télécommunications. Elle se réserve le droit de sanctionner des opérateurs qui ne rempliraient pas leurs devoirs en matière de neutralité.
En 2018, l’Arcep s’est associé à la Northeastern University de Boston pour développer une application appelée Wehe. Cette application teste les ISPs (Internet Service Provider) pour détecter les comportements frauduleux tels que l’étranglement des connexions à certains sites Web.
En raison de l’implication de l’Arcep et de son attachement à la neutralité du réseau, les ISPs français ont été rigoureusement testés pour s’assurer que tout allait bien – et pas une seule violation n’a été enregistrée au cours des 12 000 tests de l’application. En revanche, le Royaume-Uni a connu une situation inquiétante avec 100 violations sur 8 000 tests. C’est ironique car le Royaume-Uni s’est joint à la France pour réprimander l’abrogation de la neutralité du réseau de la FCC.
Cependant le débat n’est pas clos. Plusieurs évolutions dans le paysage d’Internet vont tester la pérennité de la neutralité du Net en Europe, notamment sous la pression de la puissante industrie des télécoms. La question de la neutralité des plateformes – ces énormes sites comme Google ou Facebook qui servent d’interface incontournable à un nombre croissant de services en ligne – commence aussi à émerger dans le débat public européen. Tout comme celle de la neutralité de certains appareils (smartphones, assistants vocaux…) déterminant ce qu’un internaute peut, ou non, faire de sa connexion à Internet.
À quoi ressemblerait le web sans neutralité ?
Il est important d’admettre que la neutralité du net n’est pas forcément un concept facile à saisir pour celui ou celle qui n’est pas très au fait du monde numérique. Certains raccourcis peuvent ainsi être fait en associant la notion de neutralité du net avec la qualité de connexion à laquelle l’internaute à souscrit (ADSL, cable, fibre, 3G, 4G…), il n’en est rien. Il s’agit plus de dire que tout le trafic qui circule doit être traité de manière égale, c’est-à-dire sans discrimination, limitation ou interférence, qu’importe le destinataire, l’expéditeur, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application. Mais à quoi ressemblerait le web sans cette neutralité ?
Sur la vidéo pour commencer, sans la neutralité du net, un fournisseur d’accès pourrait très bien facturer la connexion à tel ou tel service de SVOD (Subscription Video on Demand) ou même à toutes les plateformes de vidéo sans distinction (YouTube, Netflix, CanalPlay, Dailymotion…). Ou il pourrait ne pas faire son maximum pour la qualité d’accès à un service de SVOD concurrent. Pourquoi en effet se forcer alors que vous pourriez très bien opter pour l’offre de votre FAI ?
Sur l’actualité vous pourriez devoir payer quelques euros en plus chaque mois sur votre abonnement pour accéder normalement à certains sites de presse. Par exemple, Altice, la maison-mère de SFR et Numericable, pourrait décider de privilégier les médias qui lui appartiennent (Libération, L’Express…) au détriment de groupes concurrents, alors discriminés.
Pour écouter de la musique, vous êtes plutôt Deezer que Spotify ? Aucun souci : vous pouvez opter pour le premier plutôt que pour le second, votre opérateur doit faire de son mieux dans un cas comme dans l’autre. Sans la neutralité, gare au zero rating ! Cette pratique consiste à ne pas facturer l’usage de certains services dans un forfait. Cette technique est assez fourbe car elle ne fait pas payer plus, mais elle permet de jouir d’un service sans limite, puisque son utilisation ne sera pas prise en compte dans le forfait. Ça semble formidable, mais ça a tendance à orienter un client vers ce service plutôt qu’un autre et donc n’avoir accès qu’au catalogue musical de tel ou tel service de streaming. Peut être avez-vous déjà reçu une offre allant dans ce sens de la part de votre opérateur ? Le zero ratting fait actuellement l’objet d’une attention toute particulière de la part de la justice européenne.
D’autres secteurs seraient eux aussi dangereusement impactés. Ce serait le cas pour les offres commerciales de libre concurrence. À l’heure où de nombreux opérateurs ouvrent leur activité au secteur financier numérisé (banque, assurance…) par exemple. Ce serait aussi le cas pour les simples usages que nous faisons du réseau, la téléphonie, l’échange de fichiers, la visio-conférence, l’utilisation de cloud ou de logiciels en ligne pourraient de la même manière s’en trouver dégradés ou sur-financiarisés.
En 2012, une étude à démontrée que près d’un FAI européen sur cinq bridait le Peer to Peer. La situation sur mobile était encore plus dégradée, avec des « mesures de gestion du trafic » encore plus limitatives.