Considéré comme l’une des 100 personnalités les plus influentes du 21e siècle, Michel Bauwens est né en Belgique en 1958. Après une jeunesse durant laquelle il multiplie les expériences philosophiques et idéologiques, il obtient un diplôme en politique internationale. Sa carrière débute dans les milieux informatiques. Analyste pour l’United States Information Agency, directeur de l’information stratégique chez BP puis chez Belgacom, Bauwens se questionne sur l’état du monde dans lequel il évolue.
Il rompt avec son univers professionnel au début des années 2000 et s’exile en Asie. Là, il étudie l’histoire des changements de civilisation et découvre le principe des échanges de fichiers pair-à-pair. Il y voit un concept en totale rupture avec le système qui façonne les technologies et les logiques économiques que nous connaissons. Il met ce concept en parallèle à l’évolution du monde médiéval impulsée par la création de l’imprimerie.
Est-ce que je veux faire partie du problème ou de la solution ?
En 2005, il créé la Fondation P2P dont le but est d’étudier l’impact de la technologie et de la pensée pair-à-pair sur la société. Il formalise sa théorie dans un manifeste : P2P and humain evolution.
Durant les années 2010, Bauwens multiplie les expérimentation et prises de positions autour des principes collaboratifs. Il tient une conférence au Forum Mondial du Libre, apporte son soutien au secrétaire d’État équatorien, René Ramírez, pour développer une économie alternative dans le pays, deviens conseillé de la ville de Gand et travaille pour la coopérative Smart. Il publie également 2 livres, Sauver le monde: vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer en 2015 et le Manifeste pour une véritable économie collaborative: vers une société des communs en 2017.
Mais, avant d’aborder la pensée de Michel Bauwens, il nous faut définir le principe du pair-à-pair, traduction française du terme anglais peer-to-peer souvent abrégé P2P.
Qu’est-ce que le « pair-à-pair » ?
Au tout début des années 2000, le « peer-to-peer » est largement utilisé par les internautes pour télécharger – pirater – une grande quantité de fichiers informatiques. Films, musiques et même livres se retrouvent partagés entre utilisateurs par le biais de systèmes décentralisés. Les systèmes les plus rependus sont alors E-mule, LimeWire, BitTorrent ou encore Mtorent.
Le P2P définit un modèle de réseau informatique d’égal à égal entre ordinateurs, qui distribuent et reçoivent des données ou des fichiers. Dans ce type de réseau, comparable au réseau client-serveur, chaque client devient lui-même un serveur. Le P2P facilite et accélère les échanges entre plusieurs ordinateurs au sein d’un réseau. Il s’agit de l’inverse du principe de centralisation, le modèle d’hébergement le plus rependu à l’heure actuelle, où les fichiers sont hébergés sur un seul serveur.
Techniquement, un utilisateur qui possède un fichier le met à disposition d’autres utilisateurs via une plateforme de téléchargement (il devient alors serveur). Il peut simultanément aussi télécharger d’autres fichiers partagés par d’autres clients. Les bouts de fichiers téléchargés sont immédiatement partagés avec d’autres ordinateurs, jusqu’à ce que le fichier soit complet. Cette technique augmente la rapidité de téléchargement et diminue la charge sur le serveur central.

Extension sociale du P2P
Pour Bauwens, la logique du pair-à-pair dépasse largement le simple système de piratage et existait bien avant l’avènement de l’informatique. Il compare les groupes sociaux du pair-à-pair aux guildes du Moyen Âge. Les sociétés médiévales étaient décentralisées, produisaient en local et se structuraient autour des communs comme les terres pour le pâturage.
La même logique est aujourd’hui à l’œuvre derrière le logiciel libre, les coopératives ou certains projets de gestion de l’eau. C’est également le principe qui soutient la blockchain et les crypto-monnaies. Selon un rapport américain de 2011, l’open source et toutes les autres formes de connaissances partagées – Linux n’est qu’un exemple – représentaient déjà 1/6e du PIB américain et comptaient 17 millions de travailleurs.
L’idée défendue par Bauwens est de s’appuyer sur la logique de cette technologie pour repenser le système socio-économique dans sa globalité. Son souhait n’est pas de renverser l’ordre établi de façon révolutionnaire. Son approche à pour but de réconcilier l’individu (incarné dans la société capitaliste) et le collectif (société traditionnelle) pour créer un individualisme collectif “la société des communs”, ce que son ami le philosophe Bernard Stiegler appelait l’individuation.
D’après Bauwens, la mutation vers une société des communs s’observe aussi en politique. Des mouvements comme Nuit Debout et Occupy Wall Street ont produit de la politique en pair-à-pair à grande échelle. D’après lui, d’ici quinze ans, le modèle pair-à-pair aura contaminé l’économie physique et sociale.
Ce qu’il propose pourrait dans un premier temps être interprété comme une déclinaison ou un rattachement aux idées de l’anarchisme où les individus s’organisent de façon horizontale en prônant une structure autogéré détaché de l’États. Il n’en est rien. Pour lui L’État conserve son rôle d’encadrement et de contrôle, mais élimine certains pans de la bureaucratie trop restrictifs (comme les brevets de propriété) tout en créant une dynamique qui stimule l’autonomie des individus et des collectifs.
Dans cette vision des « communs », c’est la société civile qui est désormais au centre du jeu soutenu par un “État-partenaire”. En d’autre termes, Bauwens s’affranchit des conceptions idéologiques classiques (capitalisme, libéralisme, fascisme, socialisme, marxisme, anarchisme…) pour développer une nouvelle forme d’organisation sociale, économique et politique rendue possible à grande échelle par l’expansion des technologies numérique.
Liens utiles et références :
- Michel Bauwens : « Uber et Airbnb n’ont rien à voir avec l’économie de partage » — Le monde, 23 juin 2015
- Propriété intellectuelle : la ruée vers la matière grise — France Culture, 03 février 2014
- Publications de Michel Bauwens diffusées sur Cairn.info
- Pour la transition — Débat avec Bernard Stiegler et Michel Bauwens, 16 septembre 2014