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Marshall McLuhan, le visionnaire

Gourou génial ou mystificateur, les opinions sont contrastées quand il s’agit de Marshall McLuhan. Il imagine dès le début des années 60, la future apparition d’un “village global” où les données s’échangent et se modifient rapidement. Une description du fonctionnement de l’actuel Internet vingt ans avant son apparition.

En mars 1993, sortait le premier numéro du magazine californien Wired (Câblé en français), référence dans le domaine des technologies émergentes et de leur impacte sur la société. À ses débuts, la publication revendiquait sa filiation à la pensée de Marshall McLuahn le qualifiant de « Saint Patron » du magazine. Disparu en 1980 à l’âge de 69 ans, soit plus de 10 ans avant la naissance du web, McLuhan en décrivait les fondements et les possibles dérives.

Marshall McLuahn nait les 21 juillet 1911 dans la province de l’Alberta au Canada. Professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication, il est un des fondateurs des études contemporaines sur les médias. Ses premiers travaux portent sur les transformations culturelles apportées par l’imprimerie. Il s’intéresse également à l’effet de la radio et tente de prévoir les bouleversements qu’entraînera la télévision. Il anticipe aussi, l’impact de l’ordinateur portable miniaturisé.

Auteur de nombreuses publications, dont certaines se sont vendues à plusieurs millions d’exemplaires, McLuahn est un des penseurs les plus populaire outre-Atlantique dans les années 60 et 70. Il fait régulièrement la couverture des journaux, multiplie les conférences à travers le monde, il finira par avoir sa propre émission de télévision (This is Marshall Mc Luhan) et incarnera son propre rôle dans une scène du film de Woody Hallen, Annie Hall (1977). Malgré cette notoriété populaire, il restera ignoré voir dénigré par le monde universitaire qui lui reproche son « déterminisme technologique ». En effet, la théories principale défendue par McLuhan, souvent mal interprétées, s’appuient sur l’impact que l’outil de transmission d’un message a sur la perception que nous pouvons en avoir. Il résumait cette théorie par la phrase : « medium is the message« .

Le médium est le message

Dans son essai La Galaxie Gutenberg, publié en 1961, McLuahn explique que le livre et l’imprimerie ont permis à l’humain d’organiser sa pensée de façon linéaire. Il opposait donc l’homme de l’ère tribal, dont la pensée se transmettait de façon orale, à l’homme de l’ère Gutenberg dont la pensée était transmise par l’écrit de façon très structurée. Lorsque le premier devenait tour à tour émetteur puis récepteur du message au sein de sa communauté et de son milieu naturel, le second prenait plus de distance face à l’information qui lui était transmise. Dans cette seconde époque, la connaissance est devenue plus dense et son apprentissage plus individualiste. Loin de minorer le contenu de l’information, McLuahn considère donc que la forme, donnée à l’information conditionne la perception du récepteur. Le médium pourrait donc être considéré comme un message en lui même.

En étendant son raisonnement sur l’époque contemporaine, celle de l’électricité et de l’électronique, McLuahn s’intéresse au nouveau mode de transmission de l’information, alors en pleine expansion, la télévision. Il constate que ce nouveau médium modifie les habitudes et les comportements humains. Dans cette nouvelle ère, l’ère Marconi, l’homme et la société sont traduits en informations. Leur perception est modifiée en ne passant plus uniquement par la vue comme c’était le cas avec l’écriture. Pour lui, il s’agit dans une certaine mesure d’un retour à l’ère tribale, l’humain accède de nouveau à la connaissance par une transmission orale et non linéaire.

Cependant McLuahn voit une différence fondamentale entre l’ère tribale et l’ère Marconi. Les hommes sont maintenant connectés. Les nouvelles technologies permettent une plus grande proximité et une instantanéité dans la transmission de l’information. Il voit également un retour à la notion de tribu, ce que nous appelons aujourd’hui “communauté”, dans laquelle le sujet redeviens à la foie émetteur et récepteur. Ces dernières observations permettent à McLuahn de définir une nouvelle théorie fondamentale de son œuvre, la notion de de village global au sein duquel les nouveaux médias “jouent le rôle de tam-tams”.

Le village global

Selon McLuahn, “les moyens de communication audiovisuelle modernes et la communication instantanée de l’information mettent en cause la suprématie de l’écrit”. Dans ce monde unifié, où l’information véhiculée par les médias de masse fonde l’ensemble des micro-sociétés en une seule, il n’y aurait selon lui désormais plus qu’une culture, comme si le monde n’était qu’un seul et même village, une seule et même communauté “où l’on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un même espace”. La capacité, pour une personne, à récupérer des informations très rapidement en n’importe quel point de la planète (raccordé à un réseau) donne l’impression d’être dans le même endroit virtuel, dans le même village.

Cette nouvelle notion a longtemps été prise pour une sorte d’utopie positive, mais McLuhan lui-même a soutenu, notamment dans son livre War and Peace in the Global Village (1968) qu’il voyait dans ce village plus de désagréments et de sources de conflit liés à la proximité que d’avantages. Les échanges se font désormais de façon planétaire et les individus se trouvent confrontés les uns aux autres quelque soit leurs différences idéologiques ou culturelles. Inutile donc de détailler les désagréments occasionnés qui font aujourd’hui parti de notre quotidien. Cette notion de village globale a cependant séduit bon nombre d’utilisateurs et créateurs du réseau internet.

Médias chauds vs. médias froids

En parallèle de ses recherches sur les rapports entre médium et message, MacLuhan développe une seconde thèse : les médias seraient séparables en deux parties en fonction de leur température. D’un côté il catégorise les médias chauds comme le cinéma, la radio, les textes imprimés ou la photographie et de l’autre, les médias froids, le téléphone, la télévision, la parole ou la bande dessinée.

Les premiers, peu interactifs sollicitent fortement un seul sens et fournissent une grande quantité d’informations, un message complet. De ce fait, “ils ne laissent que peu de blancs à remplir ou à compléter” en n’encourageant guère la participation du récepteur. Les médias froids eux, laissent plus de place à l’interaction, s’adressent à plusieurs sens mais sont pauvres en informations car ils contiennent des « blancs », des lacunes. Ils réclament une plus forte implication du récepteur pour compenser ce déficit et colmater les vides.

L’ère Marconi marquerait, surtout grâce à la télévision, la victoire des médias froids sur les médias chauds, permettant ainsi aux publics de s’investir davantage. Elle est aussi, paradoxalement, celle d’une possible hybridation entre (certains) médias froids et chauds. Malheureusement, McLuahn n’aura jamais vu l’arrivée des médias numériques dits “interactifs”, de ce fait, certaines de ses analysent peuvent sembler incomplètes même si il avait su anticiper certains effets du web. Son approche n’en reste pas moins intéressante, il a été un des premier a définir « les médias comme prolongement technologique de l’homme » et à en imaginer l’impacte sur notre société aujourd’hui ultra-connectées.

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