Programmeur informatique, essayiste et hacker-activiste, convaincu que l’accès à la connaissance constitue le meilleur outil d’émancipation et de justice, Aaron Swartz consacra sa vie à la défense de la « culture libre ». Il joua notamment un rôle décisif dans la création de Reddit, des flux RSS, dans le développement des licences Creative Commons ou encore lors des manifestations contre le projet de loi SOPA (Stop Online Piracy Act), qui visait à restreindre les libertés sur Internet.
Né le 8 novembre 1986 à Chicago, dans une famille de militants et d’informaticiens — son grand-père était fortement engagé dans la lutte pour le désarmement et son père était le fondateur d’une entreprise d’édition de logiciels — le jeune Aaron se passionne dès son plus jeune âge pour la programmation, internet et le concept de logiciel libre. À 12 ans il développe sur l’ordinateur familial une encyclopédie participative, The Info Network. Il reçoit à 13 ans l’ArsDigita Prize, qui récompense les jeunes gens ayant créé des sites non commerciaux “utiles, éducatifs et collaboratifs”. Ce titre lui donne droit à un voyage au MIT (Massachusetts Institute of Technology).
Premiers pas dans le monde universitaire
À 14 ans, Aaron fait la rencontre lors d’une conférence TED, de celui qui allait devenir son ami et mentor Larry Lessig, professeur de droit à Harvard, théoricien majeur de l’internet libre, spécialiste du droit constitutionnel et de la propriété intellectuelle.
La même année, le jeune Aaron participe à l’élaboration des flux RSS (Rich Site Summary), une technologie permettant de recevoir en direct sur son navigateur ou au seins d’un agrégateur, les mises à jour de sites web. Nous pourrions comparer les flux RSS aux notifications push de certaines applications actuelles mais dont la technologie plus ouverte s’appuie sur le langage HTML.
Au tout début des années 2000, Swartz est nommé, malgré son jeune age et son manque de diplôme, chercheur au Safra Center for Ethics de l’université de Harvard pas Lessig. Il assiste ce dernier dans la création d’une licence libre permettant aux créateurs de libérer leur production des droits de propriété intellectuelles jugés jusqu’alors trop restrictifs. Aaron Swartz était particulièrement admiratif de Tim Berners-Lee, du fait de son initiative de laisser sa création libre et gratuite pour qu’elle puisse bénéficier au plus grand nombre. C’est ainsi qu’en janvier 2001 est fondé l’association à but non lucratif Creative Common (CC) à l’origine de plusieurs licences libres connues sous le nom de licences Creative Commons.
Web contributif
Intéressé depuis son plus jeune âge par la notion de contribution sur internet, c’est tout naturellement qu’Aaron prend part aux côtés de Alexis Ohanian et Steve Huffman à la création du site de partage d’actualités Reddit en 2005. Rapidement la plateforme devient un lieu de débat et discutions permettant à de nombreux utilisateurs de confronter leurs point de vue politiques et sociaux. Il quittera le projet suite à son rachat pour des désaccords d’ordre éthiques.
En parallèle Swartz multiplie les contributions au site Wikipédia, et publie un article sur son blog « Qui écrit Wikipédia ? » dont la conclusion s’oppose frontalement à l’idée selon laquelle les articles seraient rédigés par une minorité d’experts laissant leur simple modification aux autres intervenants. Cette article résonne comme une profession de foi de la part de Swartz pour qui la connaissance n’est pas la propriété d’une catégorie d’initiés.
En 2008, Swartz continue a militer pour un web outils de pouvoir démocratique en créant Watchdog.net. Son but était de faciliter la transparence sur les actions et décisions gouvernementales. C’est dans ce même état d’esprit qu’il créé Secure Drop. Il s’agit d’une plateforme gratuite d’échange cryptés entre les journalistes et leur source (les lanceurs d’alerte). Cette plateforme reste une référence et un réel outils d’investigation pour de nombreuses grandes publications (The Newyorker, Forbes, Washington Post, The New-York Times, Bloomberg News,…).
Affaires judiciaires
En 2008, Aaron Swartz télécharge 2,7 millions de documents du système judiciaire fédéral américain depuis la plateforme PACER (Public Access to Court Electronic Records) dans le but de les rendre disponibles en s’affranchissant du système payant. Le transfert a attiré l’attention du FBI, mais l’enquête est rapidement clôturée sans que des poursuites soient engagées en raison du caractère public des documents.
Convaincu que l’accès à la connaissance était un outils d’émancipation et du justice, en 2011, Swartz décide de hacker la base d’archivage de données universitaire JSTOR à partir d’une connexion du MIT afin de libérer plus de 4 millions d’articles scientifiques, dont une part notable appartenait au domaine public. Cet action débouchera sur une procédure judiciaire initiée par la procureur Carmen Ruiz. Aaron Swartz risque alors 35 ans d’emprisonnement. Il restitue finalement les données piratées, le MIT et JSTOR retirent leur plainte et Swartz est acquitté. Suite à cette affaire, JSTOR choisi de changer de politique, en donnant accès librement et gratuitement plus de 500 000 articles du domaine public, ce qui constitue une avancée majeure pour l’accès à la connaissance. L’état fédéral américain cherchant à faire un exemple décide malgré tout continuer à faire pression sur lui en l’accusant de vol de données et de fraude électronique. Une audition à lieue en septembre 2012, durant laquelle Swartz plaide non coupable.
Décès et postérité
Le 11 janvier 2013, le corps d’Aaron Swartz est retrouvé dans son appartement new-yorkais. Après deux ans d’une procédure très dure, que sa famille a décrit comme du harcèlement, Aaron Swartz, en proie à des épisodes dépressifs, met fin à ses jours un mois avant l’ouverture de son procès. À l’annonce de son décès, profondément émus et choqués, de nombreux scientifiques décident de publier leurs travaux de façon libre via le hashtag pdftribute sur tweeter. Il s’agira pour eux d’un hommage au jeune défenseur d’un savoir libre et universel. Time Berners-Lee dira de lui dans un tweet au lendemain de sa disparition : “Aaron est mort. Vagabonds dans ce monde de fous, nous avons perdu un mentor, un aîné plein de sagesse. Hackers défendant le droit, nous sommes un de moins, nous avons perdu l’un des nôtres. Tous ceux qui élèvent, qui soignent, qui sont à l’écoute, qui nourrissent, parents, tous, nous avons perdu un enfant. Pleurons.”
Depuis sa disparition, l’héritage d’Aaron continu d’inspirer et de fasciner. La lutte pour un internet libre, propriété de tous, n’a jamais cessée. L’accès à l’information, la neutralité su web restent de grands points défendus par de nombreux acteurs du numérique, des médias et du journalisme.
Aaron a appris plus de choses que la plupart d’entre nous n’en apprendront jamais et il a élaboré plus de choses que la plupart d’entre nous n’en élaboreront jamais. […] Peu d’entre nous auront jamais une influence, ne serait-ce que vaguement comparable, à celle qu’a eue ce garçon.
Larry Lessig à propos d’Aaron Swartz
À l’opposé des logiques marchandes de nombreux grand acteurs du numérique, Aaron cherchait, en s’appuyant sur le réseau, à changer le monde, à le rendre plus démocratique et ouvert au partage. Il pensait l’humain capable de bonnes choses dès lors qu’il travail sur un modèle collaboratif que ce soit dans la programmation, la création, l’élaboration de lois, l’enseignement… L’une de ses dernières actions a été le combat contre le Stop Online Piracy Act (SOPA) qui aurait permis au gouvernement de fermer n’importe quel site internet sur simple soupçon de non respect du copyright. Grâce à son activisme, il fait basculer le vote et enterre le projet de loi.
la vraie question n’est pas de savoir quel effet a eu le travail que l’on a accompli, mais à quoi ressemblerait le monde si on ne l’avait jamais accompli
Aaron Swartz
Liens utiles et références :
- Aaron Swartz, les mystères d’un idéaliste — Justin Peters, art. Slate.fr, mars 2013
- Celui qui pourrait changer le monde — Aaron Swartz, préface de Lawrence Lessig, ed. B42, mars 2017
- Lawrence Lessig : “Dans le Net, où l’argent est roi, l’attitude désintéressée d’Aaron Swartz tranchait” — art. Télérama, mai 2017
- Ce que l’on doit à Aaron Swartz — podcast France Culture, mai 2017
- Ce qu’il reste de no rêves — Flore Vasseur, ed. Équateur, 2018